La chapelle de Sainte-Marie-aux-Anglais


Présentation générale de l'ancienne église paroissiale

La revue Patrimoine normand a publié un article très complet sur cette ancienne église dans son édition n°31 de février-mars 2000. Pour consulter la page de son site Internet qui en reprend une partie, cliquez sur le logo de cette intéressante publication.

QUE SAVONS-NOUS DE L'HISTOIRE DE LA CHAPELLE ?

Les fondateurs et les patrons de la paroisse

Aucun document ne mentionne la construction de l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais. Divers éléments nous permettent de bâtir des hypothèses sérieuses quant à la date de sa construction et au personnage qui est à son origine. On trouve vers 1277 le nom Sancta Maria ad Anglicos,  ce qui montre que la dénomination "aux Anglais" est antérieure à la guerre de Cent Ans.

Voir ci-après la présen-tation de Louis Régnier,  historien et archéologue, dont un texte de référence sur la chapelle a été publié dans le Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie (Tome XXVII p. 42 à 68).

D'après Louis Régnier (référence, ci-contre), les archives du diocèse de Lisieux indiquent que vers 1350 le patronage de l'église revenait à la famille de Sainte-Marie, sans doute celle des seigneurs de la paroisse.  Le patronage d'une église était donné à celui qui avait majoritairement contribué à la construction et à la dotation de l'église. Ce droit était héréditaire suivant des règles très précises. Il donnait, entre autres, "le droit de sépulture au chœur qui est même imprescriptible contre le patron".  Sans avoir de preuve absolue, il semble très probable que c'est la famille de Sainte-Marie qui a construit l'église et que ce sont deux de ses membres qui ont leur gisant dans le chœur.

La propriété d'une abbaye voisine, jusqu'à la désacralisation

Au XVIe siècle, ce droit appartenait toujours à un seigneur laïc. Au XVIIIe siècle, il passa au prieuré de Sainte-Barbe-en-Auge à Mézidon.  Cette transmission à une communauté religieuse était prévue par la loi.

Un tableau a été offert en 1574 à l'église.  En 1785, une cloche nommée "Marie Rosalie"  a été installée dans le clocher. Sa marraine était  Marie Rosalie Geoffroy, descendante du dernier seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais et épouse d'Etienne Louis Choron (1731-1789). Avocat au Parlement de Paris, celui-ci a été directeur général des fermes royales en Normandie, à Coutances.   Leur fils,  Alexandre Etienne Choron fut célèbre, à son époque, comme mathématicien (professeur à l'Ecole Polytechnique) et comme musicien. Il se retira quelques années comme instituteur à Sainte-Marie-aux-Anglais pour mettre au point une méthode de pédagogie musicale. Quant à la cloche, elle sera décrochée quand le clocher ne pourra plus la supporter…

Entre le chœur et la nef, au-dessus de l'ouverture ou arc triomphal se trouve un beau crucifix datant du XVIII siècle. Rien concernant le passage de la Révolution. Les peintures ont été retrouvées sous un badigeon. Aurait-ce été pour les protéger alors de la vindicte révolutionnaire ?

En 1836, l'église a été désacralisée au profit de celle des Authieux-Papon. Plutôt que de la désigner, à partir de cette date, comme "l'ancienne église" nous utiliserons le terme "chapelle", employé de nos jours. Sa détérioration va s'accélérer jusqu'aux interventions présentées ci-après dans la partie "Historiens et mécènes au chevet de la chapelle".

Datation

Les documents ne nous apprenant presque rien quant à la datation, regardons la chapelle :  aspect massif,  c'est  un monument roman. Ses contreforts  à  retraites et glacis la situent postérieurement à  la moitié du XIIe siècle.  Les peintures et les gisants montrent des habits  antérieurs au XIVe siècle.

La nef est éclairée par des fenêtres de plein-cintre alors que celles du chœur sont en arcs brisés.  La transition de l'une à l'autre de ces formes de fenêtre se situe au passage du XIIe au XIIIe siècle.  La piscine, contenant eau bénite et eau vulgaire, du chœur est typique des XIIIe et XIVe siècles. Dans la muraille,  on remarque au nord comme au sud, et à la même position dans la nef,  une irrégularité dans l'alignement des pierres comme si la construction avait été arrêtée puis reprise par une autre équipe de maçons.

L'église aurait-elle été construite en deux étapes ?   La  chrono-dendrologie nous permet de répondre : oui, mais ces deux étapes auraient été suffisamment proches pour conserver l'unité du bâtiment. Cela explique que plusieurs historiens aient pu écrire que l'église avait été bâtie d'une seule traite.

La chrono-dendrologie permet de dater les coupes de bois à partir de l'étude des cernes, avec une  précision dépendant du nombre de cernes dont on dispose. Le Centre d'Etude Dendrochronologie et Recherche en Ecologie (CEDRE) à Besançon a procédé à des "carottages" d'échantillons et à leur datation. Ces échantillons ont permis de déterminer la date de la coupe des arbres et non pas celle de leur dépose dans la charpente ; toutefois, d'après le CEDRE, à cette époque on ne séchait pas les bois plus d'une à deux années. Ces mêmes échantillons ont été, un peu plus tard, confiés au Laboratoire Archéosciences de Rennes qui a refait la datation par chrono-dendrologie. Les résultats des deux études sont les suivants :
- charpente de la nef : pour l'un des laboratoires, elle date de 1144 ; pour l'autre de 1191, avec la même  probabilité,
- renforts de la nef ou contreventements  : ils seraient postérieurs à 1277 et antérieurs à 1312 (étude  uniquement du CEDRE),
- clocher : il serait postérieur à 1411 (étude uniquement du CEDRE),
- charpente du chœur : elle est datée de 1216-1217 par le CEDRE, le Laboratoire Archéosciences de Rennes considérant que les échantillons ne permettent pas de conclure,
- lambris : ils sont plus difficiles à dater (bois très mince), vers 1520-1565, selon le CEDRE.

La nef est-elle de 1144 ou de 1191 ? Dans son livre "De la charpente romane à la charpente gothique" (Publications du CRAHM, 2007 Caen), Frédéric Epaud est catégorique : sur la vue des éléments architecturaux de la nef (baies, contreforts, modillons etc.) qui datent selon lui de 1130-1150, c'est l'hypothèse 1144 qui doit être retenue.

Parmi les monuments normands qui ont pu faire l'objet d'une datation des charpentes d'origine, l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais apparait comme l'un des plus anciens présentant une unité de style.

Au milieu du XIIe siècle, pour les architectes normands réalisant les premières voûtes maçonnées, il était tentant d'adapter les charpentes en  les recouvrant à leur forme. Il fallait faire une charpente voûtée, mais cela posait un problème pour les charpentiers : chaque ferme comprendra plusieurs segments de poutres assemblées, que l'on aura recourbés (d'où le nom de "poutres tors").  Frédéric Epaud cite l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais comme la première, parmi celles qui nous sont parvenues, ayant adopté cette technique.

Un contreventement est un système  destiné à assurer la stabilité globale d'un ouvrage vis-à-vis des effets horizontaux issus des éventuelles actions sur celui-ci.

Il apparait donc que l'église a été construite en deux temps séparés de 70 ans environ. Un siècle après sa construction, il fut nécessaire de consolider la charpente par des contreventements. Elle ne comportait pas alors le clocher, qui fut ajouté au XVe siècle. Les lambris le furent un siècle plus tard. Deux fenêtres ont été ouvertes après la construction de la chapelle : une dans le chœur et l'autre dans la nef. La chapelle devait être bien sombre avec les petites fenêtres d'origine.  Celle du chœur est datée du XIIIe siècle, donc peu après la fin de la construction.  Double fenêtre ou fenêtre géminée, elle ne s'accorde pas trop mal avec le style de l'édifice. Par contre, celle de la nef de style gothique flamboyant (XVe et XVIe siècles), est le seul élément rompant le charme de cet ensemble roman.

Plusieurs éléments relatés ici témoignent de l'entretien de l'église après sa construction : des renforts, le clocher, des lambris, un  tableau et un  crucifix  amélioraient sa solidité et son aspect. Elle fut donc bien entretenue jusqu'à la Révolution.  Les registres paroissiaux montrent qu'un curé la desservait,  il notait avec soin tous les sacrements qui y furent donnés.

Quels personnages représentent les sculptures funéraires ?

Pour étudier la pierre tombale et les gisants du chœur, nous devons évoquer les seigneurs de Sainte-Marie-aux-Anglais.   Deux noms de familles sont apparus plusieurs fois avant de s'unir…

Les Drosay      

En 1483, apparut un Jehan de Drosay, seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais ou Sainte-Marie-en-Auge, qui assista à l'interrogatoire de plusieurs criminels détenus à Saint-Pierre-sur-Dives. C'est à cette époque, semble-t-il, que la motte féodale de Sainte-Marie-aux-Anglais sur le côté de l'église fut rasée à la demande de Madame de Drosay pour être remplacée par un château plus confortable dans le goût de l'époque. Celui-ci porte le porc-épic de Louis XII, mort en 1515.
En 1544, Jean de Drosay, seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais, jurisconsulte à Caen, publia un ouvrage de grammaire ainsi qu'un ouvrage juridique.  En 1640, Pierre de Drosay était écuyer, seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais ; il était le père de Madeleine de Drosay.

Les Mathan

Mathan est une terre et seigneurie en Basse-Normandie, située près de l'Abbaye d'Aulnay, qui donna son nom à cette famille normande de très ancienne noblesse.
Jean de Mathan fut compagnon de Guillaume le Conquérant. Son fils, Chevalier Banneret, participa à la première croisade. On peut suivre la généalogie de la famille qui vécut en Basse-Normandie.  En 1637, naquit César Auguste de Mathan, chevalier et seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais.

L'union des deux familles

En 1661,  César Auguste de Mathan épousa Madeleine de Drosay.  De cette union  naquirent 5 enfants. 

La pierre tombale et les gisants

César Auguste décéda le 15 février 1693. C'est sa pierre tombale que l'on trouve dans la chapelle ;  il y est désigné comme "Seigneur et patron de Sainte-Marie-aux-Anglais". Le patronage de la chapelle est donc passé de la famille Geoffroy de Sainte-Marie à la famille de Mathan qui utilisa son droit de sépulture dans le chœur.  Madeleine mourut en 1712 et avec elle disparut la famille de Drosay. La généalogie de la famille Mathan peut être suivie jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Vers 1905, Louis Régnier décrivit cette pierre tombale, qui se trouvait "au milieu du dallage du chœur". Le dallage ayant disparu, sans doute volé,  la pierre tombale fut mise sur le côté.

Généralement réservé aux nobles, un enfeu est une tombe encastrée dans l'épaisseur du mur d'un édifice religieux .

L'enfeu contenant deux gisants est plus énigmatique !  Il a été écrit qu'il avait été installé après la construction de l'église. Nous ne le pensons  pas. Comment la peinture de la Cène, réalisée en même temps que les autres peintures, aurait-elle résisté à une telle excavation ?   Les statues dateraient de la fin du XIIIe siècle et seraient du même sculpteur ; son ciseau n'est pas très fin mais il donne une certaine "fraîcheur" à ses sujets, tous deux souriants dans la mort. 

Par contre, qui sont représentés là ?  Apparemment un chevalier et son épouse. Louis Régnier fait, toutefois,  remarquer qu'une femme ne serait pas représentée au XIIIe siècle avec "une robe courte" et que ce serait le gisant d'un bourgeois ou "d'un jeune homme". D'après Vincent Juhel, la statue a une coiffure d'homme et elle n'a visiblement pas de poitrine. Par contre, le personnage est représenté tenant un gant qui est un symbole de soumission, de dépendance qui sied à une épouse (au moins à cette époque).  Qu'en penser ? Nous pouvons considérer que nous n'avons pas à faire à un grand artiste ; ignorant les conventions de représentation des défuntes, le sculpteur aurait effectivement représenté un chevalier et sa femme. Ou bien, l'église ayant été réalisée en deux étapes par deux seigneurs "patrons" différents (peut-être le grand-père et son petit-fils), ce sont eux qui seraient enterrés là.  L'un était un guerrier, l'autre pas. Le gant pourrait alors être un signe de respect envers son aïeul.

HISTORIENS ET MECENES AU CHEVET DE LA CHAPELLE

Premières actions pour la conservation de l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais

Résumé par un expert des peintures murales médiévales en Normandie



Vincent Juhel, historien d'art,  qui a préparé une thèse sur les peintures murales de Normandie au Moyen Âge à l'Université Paris IV-Sorbonne, est l'un des membres fondateurs de l'association "Conserver la Chapelle de Sainte-Marie-aux-Anglais". 

Il est  administrateur général de la Société des antiquaires de Normandie (lire, plus loin, des informations sur cette société savante, fondée en 1824 et toujours très active).

Nous reproduisons, avec son accord,  sa communication, publiée sous le titre "Sainte-Marie-aux-Anglais et ses peintures murales" dans les actes du 160ème congrès de l'Annuaire des Cinq Départements de Normandie et des Assises de Caumont, qui s'est tenu à Lisieux en 2002 (p. 99 à 115). En voici la première partie, sans ses notes bibliographiques :
Isolée dans un vallon verdoyant, aux marches occidentales du Pays d'Auge, l'ancienne église paroissiale de Sainte-Marie-aux-Anglais abrite un très important ensemble de peintures murales du XIIIe siècle. L'édifice, bâti en pierre de Caen, est une construction du XIIe siècle, reprise au siècle suivant. La nef de trois travées, rythmée de contreforts plats, est couverte d'une voûte lambrissée décorée de motifs au pochoir (XVIe siècle). Le chœur de deux travées se termine par un mur droit. Les modillons à décor géométrique de la corniche et le décor sculpté des trois portes (dents de scie, chevrons etc.) sont bien conservés et agrémentent les élévations. Le sanctuaire est doté de voûtes d'ogives quadripartites.

Les fenêtres, étroites et haut placées au dessus d'un cordon mouluré, sont d'origine à l'exception de la seconde baie méridionale du chœur agrandie au XIIIe ou au XIVe siècle (deux lancettes séparées par un meneau bifide) et de la baie flamboyante de la dernière travée Sud de la nef. L'arc triomphal, l'arc doubleau et les voûtes du chœur datent du XIIIe siècle, comme l'indiquent la sculpture des chapiteaux et le profil en amande des nervures. Un cordon mouluré, correspondant au niveau des impostes, a alors été inséré au-dessus du bandeau roman et les chapiteaux romans ont été remployés maladroitement pour recevoir les nervures des voûtes. Tous ces gros travaux ne peuvent être antérieurs aux années 1220-1230 et définissent un terminus ante quem pour les peintures.

A l'intérieur, tout le mobilier a disparu au fil des ans, mangé par l'humidité et par les vers. Seuls restent deux gisants masculins du XIIIe siècle (placés dans le chœur) et les fonts baptismaux en pierre.

Premiers efforts pour la sauvegarde

L'église de Sainte-Marie-aux-Anglais fut désaffectée en 1836 lors du transfert du culte paroissial aux Authieux-Papion et du regroupement avec les communes de Doux-Marais et de Saint-Maclou. Elle est restée dans le patrimoine communal depuis cette date mais elle a failli disparaître à plusieurs reprises.

En 1844, Arcisse de Caumont attira l'attention de l'administration sur l'intérêt de la conservation de l'église, afin de la classer Monument historique et de la rendre au culte. D'après Danjoy, architecte chargé du dossier, l'église est condamnée à une "ruine imminente si des secours actifs ne viennent la sauver. Déjà les toitures s'affaissent sur les chevrons avariés, un pan de mur du fonds (sic) s'incline et est prêt à se détacher... Les vitrages cassés laissent le passage libre à tous les vents, les intempéries y règnent comme à l'extérieur. L'humidité du sol, celle de l'atmosphère, les fumiers produits par les oiseaux auxquels les voûtes et les vieux combles servent de refuge, soumettent les meubles, les autels, les bancs, la chaire à une destruction active".

Sur le rapport de Mérimée, la commission supérieure des Monuments historiques décida le 26 avril 1850 d'ajourner l'affaire jusqu'à ce que "les fonds du Ministère permettent d'entreprendre la réparation de cet édifice". Ce n'était pas tant le montant du devis de Danjoy (3 381,97 F) que la
crainte de s'engager pour des travaux ultérieurs en faveur d'un édifice qui ne serait pas rendu au culte qui avait motivé la décision de la commission. Mérimée s'était d'ailleurs demandé "si au lieu de réparations coûteuses et qui devront être renouvelées, il ne vaudrait mieux pas employer quelques fonds à faire copier ces peintures et relever les tombeaux ou les placer en lieu de sécurité".

Seule, la Société française d'archéologie continua à œuvrer pour la sauvegarde de l'église. En 1847, une séance administrative de la Société, tenue chez Caumont lui-même, eut "pour but principal d'aviser aux moyens de consolider l'église". On vota 200 F pour y placer des tirants. Les travaux furent accomplis grâce à la générosité de M. de la Porte, propriétaire du château voisin et membre de la Société, qui dépensa près de 3 000 F pour faire installer les tirants, réparer la couverture et consolider l'ensemble".

Reconnaissance et classement

Au début du XXe siècle, un regain intérêt permit à l'église d'échapper définitivement à la ruine. Louis Régnier, lui consacra une importante monographie publiée en même temps dans le Bulletin monumental et dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie et un jeune architecte la choisit comme sujet d'étude. Les choses avaient pourtant bien mal commencé car en 1901 le conseil municipal avait souhaité vendre l'église aux fins de démolition pour qu'il n'y ait pas de ruine sur son terroir ! La charpente du chœur s'était déjà effondrée et les voûtes menaçaient de suivre. Le classement de l'église intervenu le 19 novembre 1910 et les travaux de mise hors d'eau rapidement effectués à la suite de celui-ci permirent d'assurer la sauvegarde du monument qui n'en resta pas moins à l'abandon.

La suite, consacrée aux peintures murales, peut être lue dans la page "Etudier ses peintures".

Arcisse de Caumont


L'un des premiers artisans de la sauvegarde du bâtiment et de ses peintures est Arcisse de Caumont  1801-1873), historien et archéologue.

Né à Bayeux, après ses études en lettres et en sciences, il rédigea un Essai sur l’architecture religieuse du Moyen Âge puis il  ouvrit, à Caen, un cours d’archéologie monumentale, qui donna lieu à son important ouvrage Histoire de l’architecture religieuse, civile et militaire. Son Abécédaire ou rudiment de l’archéologie  fut un important outil de vulgarisation de l’architecture médiévale. Enfin, il publia de 1830 à 1841 un imposant Cours d’antiquités monumentales : histoire de l’art dans l’ouest de la France, depuis les temps les plus reculés jusqu’au XXIIe siècle, couvrant les architectures religieuse, civile et militaire.

Il  fonda la Société des antiquaires de Normandie et la Société linnéenne de Normandie en 1824, puis la Société française d'archéologie en 1833, l’Association normande et la Société pour la conservation et la description des monuments historiques. En tant que directeur de cette institution, il demanda, en 1844, au ministre de tutelle (vraisemblablement M. Tanneguy Duchâtel, ministre de l'Intérieur) de prendre des mesures de conservation de l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais, si le rétablissement du culte, meilleure solution, n'était pas possible.

La Direction                                                                                         Société Française pour la Conservation
                                                                                                 et la Description des Monuments Historiques

Monsieur le Ministre,

L'église de Ste Marie aux Anglais, Arrondissement de Lisieux (Canton de Mezidon) est un édifice du XIIe siècle qui n'a subi aucune mutilation et qui est sans contredit un des plus remarquables de la contrée, non seulement l'architecture en est élégante et soignée mais encore on voit à l'intérieur des peintures murales fort curieuses et deux statues tumulaires du XIVe siècle ou de la fin du XIIIe.

Malheureusement cette église est (illisible) et si l'on ne prend des mesures pour la conserver, elle finira par périr. Je viens en conséquent Monsieur le Ministre réclamer votre protection pour cette église : il a été question d'y rétablir le culte et comme c'est la plus belle de celles qui ont été fermées dans le voisinage, elle pourrait devenir la paroissiale. L'Eglise de St Maclou offre bien moins d'intérêt et celle de Doumarais où l'on fait l'office est moderne et peut se comparer à une grange.

Si contre notre espoir on ne pouvait rétablir le culte dans l'église de Ste Marie, nous proposons que la Commission des Monuments Historiques pourrait accorder quelques fonds pour l'entretenir. Les couvertures et le rétablissement de quelques parties du dallage enlevées depuis plusieurs années ; nous pensons (illisible) dépense serait plus utile et il ne faudrait pour ces réparations que quelques centaines de francs.
J'ai l'honneur d'être Monsieur le Ministre Votre très humble et Très obéissant serviteur 

A. de Caumont 

Caen 11 octobre 1844


Le volume 15 du Bulletin monumental ou collection de mémoires et de renseignements sur la statistique monumentale de la France, publié en 1849 sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques et dirigé par M. de Caumont, a rendu compte de la réunion que cette société avait tenue en juin (source : bibliothèque numérique Gallica).

Il y avait été question de l'église :

Sainte-Marie-aux-Anglais. M. de Caumont rappelle ensuite tout l'intérêt qu'offre l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais, autre église du canton de Mézidon. L'église de Sainte-Marie-aux-Anglais, dit-il, est sans contredit une des plus remarquables de nos campagnes, et j'ai déjà eu l'occasion d'en entretenir la Société qui a voté 200 fr. sur la demande de notre zélé et habile confrère M. Billon, pour aider à en consolider les murs. Depuis mon premier rapport j'y ai fait une dernière visite, accompagné de MM. Renault, de l'Institut des Provinces, Victor Petit, membre du conseil de la Société, et Pelfresne, architecte.

M. Victor Petit a dessiné la vue extérieure de l'église. Nous sommes parvenus, M. Pelfresne, M. Renault et moi à faire tomber la plus grande partie de l'épais badigeon qui recouvrait les fresques que j'avais précédemment signalées dans le chœur. Nous avons pu reconnaître sur le mur du côté de l'évangile, la représentation de la Cène, et sur le mur faisant face à l'autel, au-dessus de l'arc triomphal, le Christ et deux autres personnages.

La vue intérieure du chœur que je présente montre la disposition et l'effet de ces peintures autant que peut le faire un dessin au trait non coloré.

Quoique classée au nombre des monuments historiques, l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais est très compromise, on n'y fait pas de réparations, les portes en sont ouvertes ; et sans les travaux pour lesquels vous avez contribué, et que l'on doit au dévouement de M. Billon et de quelques propriétaires (notamment de M. de la Porte, propriétaire du château voisin), un craquement considérable qui s'est manifesté dans les murs latéraux du sanctuaire aurait fait des progrès effrayants ; nous espérons que le tirant qui a été établi arrêtera les progrès du mal, mais il restera bien d'autres réparations à faire et nous appelons sur cet édifice la sollicitude de l'administration départementale et de M. Denjoy, qui nous avait promis de la visiter et de s'intéresser à sa conservation.


Intérieur de l'église de Sainte-Marie

Prosper Mérimée


L'écrivain Prosper Mérimée (1803-1870) était également historien et archéologue. Il œuvra, à partir de 1834, comme inspecteur général des Monuments historiques, à la restauration d'édifices en péril.

Nous reproduisons ci-après le rapport d'une séance de la Commission des Monuments historiques, qu'il a rédigé et signé, et nous donnons sa transcription.

Il y conditionnait, toutefois, le financement des travaux envisagés par la décision de rendre l'église au culte et, mieux, si elle devenait une propriété de la commune, par le concours de celle-ci à sa restauration.



Ministère de l'Intérieur
Direction des Beaux-Arts
      Commission
des Monuments historiques

                   Rapport de Commission
par Mr Mérimée
Sur l'église de Ste Marie aux Anglais (Calvados)

Séance du 8 juin 1849

L'église de Ste Marie aux Anglais présente assurément un assez grand intérêt, mais cependant elle ne se distingue pas assez de tant d'autres édifices du même temps  et de même style pour qu'on n'hésite pas à en entreprendre la restauration. Il faut remarquer qu'elle ne sert plus au culte et qu'en la réparant aujourd'hui le Ministère de l'Intérieur prend en quelque sorte l'engagement d'entretenir indéfiniment un bâtiment inutile qui à la longue peut devenir une assez lourde tâche.

La dépense prévue par Monsieur Danjoy, et qui pourrait être peut être réduite de quelque cent francs (3081 f.) n'est pas considérable sans doute, mais ce que la commission doit considérer est si cette somme ne peut pas recevoir un emploi plus utile. Or à mon avis c'est ce qui est incontestable. L'église de Ste Marie aux Anglais ne se recommande aux archéologues que par deux tombeaux et quelques restes de


peintures. Je me demande si au lieu de réparations coûteuses et qui devront se renouveler, il ne faudrait pas mieux employer quelques fonds à faire copier ces peintures et relever les tombeaux ou les placer en lieu de sureté.

Dans tous les cas avant de prendre une décision, je désirerais savoir quelle destination on donnera à l'église. Si elle pouvait être rendue au culte, et devenir une propriété communale entretenue par des fonds spéciaux, je n'hésiterai plus à en proposer la restauration.

En attendant, je vais proposer de prendre auprès du Préfet du Calvados quelques informations pour savoir

1)    Si l'église peut devenir paroisse ou succursale
2)    Si la commune peut concourir à sa restauration

                          Pr   Mérimée


Note: écrire dans un an les conclusions

Eugène Simon

Ce caennais, membre de la Société des antiquaires de Normandie, était décrit par ses collègues comme un "humble et patient chercheur". En 1884, il a parcouru toutes les églises des environs de Lisieux, peut-être à la demande de l'évêque de cette ville ; il a rédigé un rapport sur leur état. Le 2 septembre, il passait à l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais et a écrit 6 pages à son sujet. Jacques Devos  a réalisé une transcription de ce très intéressant document manuscrit, vraisemblablement rédigé sur place ; vous pouvez, ainsi, le lire et voir ses illustrations, en cliquant ici.

L'église délabrée au début du XXe siècle

Des cartes postales, expédiées dans la première décennie du siècle dernier, portaient cette photo où l'on voit l'effondrement du toit du chœur  et un petit édifice délabré, vraisemblablement la sacristie, qui a ensuite été démoli.

Le mémoire historique et architectural de 1903, document de référence

Le volume 67 du Bulletin monumental, publié en 1903 et toujours dirigé par M. de Caumont, contient un important mémoire sur l'église (source : bibliothèque numérique Gallica). 


L'auteur, Louis Régnier (1865-1929), historien et archéologue, avait de multiples activités, tout particulièrement en Normandie : correspondant du Comité des travaux historiques et scientifiques (Ministère de l'instruction publique), Inspecteur divisionnaire de la Société française d'archéologie et de l'Association normande, Correspondant de la Société des antiquaires de Normandie, membre correspondant de l'Académie de Rouen, correspondant de la Commission des monuments historiques, membre du comité départemental des études économiques sur la Révolution française, membre du Comité départemental pour la protection des sites et monuments pittoresques, ...

Dans ce mémoire sur l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais, il était très pessimiste, car elle avait été supprimée en 1889 de la liste des monuments historiques, où elle avait été inscrite en 1850.

Bien que les descriptions de l'architecture soient trop détaillées pour un lecteur non spécialiste, la lecture de ce document qui contient plusieurs photographies et divers dessins, s'avère très intéressante, tout particulièrement dans son introduction. Les deux sculptures funéraires sont, notamment, décrites dans l'une des  dernières parties.

Nous l'avons transcrit pour vous le présenter, découpé selon les sujets traités. 

Le patronage de Geoffroy de Sainte-Marie

A la fin du règne de Philippe de Valois, le patronage de l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais appartenait à Geoffroy de Sainte-Marie, très probablement seigneur de la paroisse ; dans le courant du XVIe siècle, ce droit se trouvait encore aux mains du seigneur laïc ; mais, au XVIIIe siècle, c'était le prieur de Sainte-Barbe-en-Auge qui présentait à la cure.

Un spécimen parfaitement caractérisé de l'architecture normande au XIIe siècle, à conserver

Sainte-Marie-aux-Anglais était, avant la Révolution, une paroisse qui est devenue ensuite une commune ; celle-ci a été rattachée à celle du Mesnil-Mauger au début de l'année 1973.

L'église de Sainte-Marie-aux-Anglais doit aux publications de M. de Caumont un certain renom parmi les archéologues ; malheureusement, elle n'a plus d'existence légale, car, depuis longtemps déjà, la commune est réunie pour le culte à celle des Authieux-Papion. Il en résulte que cette église, malgré tout l'intérêt qu'elle présente, n'est, aux yeux de l'administration, qu'un édifice sans utilité, dont l'entretien ne répond à aucun besoin. Depuis la révision opérée en 1889, elle ne figure même plus sur la liste des monuments historiques, où elle avait été inscrite vers 1850. Il faut bien le dire, d'ailleurs, ce classement demeura complètement illusoire, et c'est aux efforts des archéologues et surtout à la générosité du principal propriétaire de la commune, M. de la Porte, que l'édifice a dû, depuis cinquante ans, les mesures confortatives qui l'ont, tant bien que mal, fait durer jusqu'à nous. La plus essentielle de ces mesures fut l'établissement de tirants en fer destinés à empêcher le déversement  des murs du chœur. Mais la sollicitude dont certaines personnes entouraient la vieille église n'a pas trouvé de continuateurs ; un jour vint où les toitures cessèrent d'être entretenues et laissèrent pénétrer les eaux pluviales ; sous leur action, la charpente du chœur finit par s'effondrer, et aujourd'hui les voûtes menacent de s'abattre à leur tour. Quant au mobilier, il est réduit depuis longtemps à l'état de débris ; récemment, il a fallu descendre la cloche, pour éviter sa chute.

L'édifice, en un mot. se trouve à l'heure actuelle dans un état si lamentable que sa disparition ne parait plus qu'une question de temps. On a même parlé de le démolir pour en vendre les matériaux. Heureusement, des archéologues sont accourus, el leurs visites répétées, peut-être aussi leurs représentations, ont donné à réfléchir. Bref, cette brutale solution paraît écartée, du moins momentanément.

Note : Au premier bruit de démolition, la Société des Antiquaires de Normandie avait entamé des négociations avec la municipalité dans le but d'obtenir pour son musée les deux statues funéraires dont il sera parlé plus loin et les spécimens les mieux conservés de la décoration architecturale.

Il faut souhaiter qu'une initiative intelligente et désintéressée vienne de nouveau sauver un monument dont la valeur archéologique n'est pas discutable. Quoi qu'il en soit, nous avons cru devoir recueillir de la pauvre église une description aussi complète que possible. Cette description, enrichie qu'elle est des photographies de MM. Huard et Salle et des dessins de MM. l'abbé Chevallier et Le Bret permettra d'apprécier tout l'intérêt du monument,

et si, par malheur, les efforts tentés pour la conservation de celui-ci doivent rester vains, elle gardera, du moins, aux archéologues futurs le souvenir d'un spécimen parfaitement caractérisé de l'architecture normande au XIIe siècle.

Vous pouvez lire la suite dans les pages sur l'architecture et les peintures.

A cette époque, le terme antiquaire désignait un érudit ou un collectionneur s'intéressant aux antiquités. Les sociétés savantes d'antiquaires  étaient des associations d'étude et de préservation du patrimoine régional.

Les actions de la Société des antiquaires de Normandie

Dans le tome XXII du bulletin de cette société (source : bibliothèque numérique Gallica), nous pouvons lire cette information dans le procès-verbal de sa réunion du 6 décembre 1901  :

M. Liégard rend compte de l'excursion qu'il a faite avec MM. Huard, Simon et Salle, à Sainte-Marie-aux-Anglais. Après un historique et une description de 1'église de cette commune, il annonce que la municipalité voudra bien céder a la Société deux belles tombes du XIVe siècle et un certain nombre de fragments sculptés qui présentent un grand intérêt. II soumet à l'assemblée diverses photographies du monument et profite de cette occasion pour rappeler de nouveau l'utilité qu'il y a à recueillir, pendant qu'il en est temps encore, des photographies documentaires des anciens monuments. Elles auront par la suite un prix inestimable pour les archéologues et les artistes et pourront, dès à présent, empêcher des destructions et des actes de vandalisme.


Dans le tome XXVIII du bulletin de la Société des antiquaires de Normandie,  se trouve un procès-verbal de sa réunion du 3 janvier 1908 contenant cette délibération :

Georges Salle participait aux recherches de son oncle, Eugène Simon.

Après avoir discuté les observations présentées par M. G. Salle au sujet des peintures murales de l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais, la Société adopte à l'unanimité la délibération suivante :
« La Société des Antiquaires de Normandie,
« Vu le rapport présenté par un de ses membres sur les peintures murales de l'église désaffectée de Sainte-Marie-aux-Anglais (canton de Mézidon, Calvados) ;
« Considérant que ces peintures offrent un très réel intérêt artistique et sont encore dans un état suffisant de conservation qui permet d'en faire utilement le relevé ;
« Emet le vœu que la Commission des monuments historiques confie à un artiste le soin d'exécuter prochainement ce travail ».


La société des antiquaires de Normandie est toujours en activité.

Cliquez sur son emblème pour visiter son site Internet.


Le classement de l'ancienne église en 1910



C'est la décision de classer le bâtiment comme "monument historique", en novembre 1910, qui a permis qu'il soit remis en état et qu'il survive.

Un monument historique est, en France, un bâtiment ou un objet, qui a été l'objet d'un arrêté lui donnant un statut juridique destiné à le protéger, du fait de son intérêt historique, artistique et/ou architectural.
Deux niveaux de protection existent : un monument peut être classé ou inscrit ; le classement constitue le plus haut niveau de protection.