THE chapel OF Sainte-Marie-aux-Anglais

En utilisant la transcription du texte de M. Louis Régnier, nous présentons ici l'architecture de la chapelle ainsi que ses ornements intérieurs et son "mobilier".

Ce document ayant été rédigé en 1903, il y a lieu de distinguer les éléments qui subsistent et ceux qui ont disparu : la sacristie, le dallage, la cloche.

L'architecture générale de l'église

Située au milieu des herbages, dans le frais vallon de la Viette, non loin de l'ancien manoir seigneurial, dont on aperçoit à travers les arbres le haut corps de logis et la mince tourelle, l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais parait orientée du sud-est au nord-ouest.


Elle se compose très simplement de deux corps rectangulaires, un chœur et une nef, inégaux dans toutes leurs dimensions. A l'époque romane comme pendant la période gothique, et dans la province normande aussi bien qu'ailleurs, ce plan fut celui des églises rurales les plus modestes. La longueur totale du monument, à l'intérieur, est de 23m40, dont 13m95 pour la nef et 9m45 pour le chœur. La largeur, de 4m58 au chœur, atteint 6ml8 à la nef. On remarque au premier coup d'œil le soin qui a présidé à la construction, faite d'un seul jet, en pierre de taille de la plaine de Caen. Les parements font honneur, par leur bonne exécution, aux tailleurs de pierre normands, dont l'habileté a déjà été remarquée des spécialistes. Malgré ses petites dimensions, l'édifice ne compte pas moins de trois portes, à savoir : une entrée principale, ménagée au centre de la façade, et deux entrées secondaires, percées l'une à l'extrémité occidentale du mur méridional du chœur, suivant un usage très répandu en Normandie — c'était la porte du clergé — , l'autre dans le mur nord de la nef, non loin de la façade.

Originairement, la nef recevait le jour par neuf fenêtres de petite dimension, toutes percées au même niveau, dans la partie supérieure de la muraille. On en comptait trois à la façade, trois dans le mur latéral du midi et trois dans celui du nord. Sept existent encore, intactes. Leur largeur varie entre 22 et 28 centimètres. Fortement ébrasées en plein cintre, au-dessus d'un glacis découpé en escalier, elles reposent à l'intérieur sur un cordon torique qui règne tout autour de la nef. La régularité de ce percement a été détruite par l'occlusion de la baie centrale de la façade et plus encore par l'ouverture, dans la muraille du sud, d'une baie beaucoup plus large, établie vers le commencement du XVIe siècle à la place de la fenêtre orientale, et dont le remplage se compose d'un meneau, de deux accolades sublobées, d'un large soufflet également sublobé et de deux mouchettes. 

L'architecture intérieure

Il faut noter que les vantaux de la porte principale, comme aussi, d'ailleurs, ceux des portes latérales, s'ouvrent à l'intérieur sous un arc en segment de cercle qui encadre la baie proprement dite. Malgré son état de vétusté, la voûte de la nef, construite en merrain, laisse encore voir par places la décoration en noir, tracée au pochoir, que M. de Caumont a signalée dans sa Statistique monumentale du Calvados. C'est là un des types les plus simples d'un système adopté partout en Normandie au XVe et au XVIe siècle. M. de Caumont a donné un spécimen de cette décoration, avec une coupe de la charpente. L'extrémité orientale de la nef est recouverte d'un plafond qui dissimule les poutres du clocher.

Sous ce plafond s'ouvre l'arc triomphal, dont la largeur entre pieds-droits ne dépasse pas 2m10. L'arcade est en tiers-point ; elle se compose de deux rangées de claveaux ; les claveaux inférieurs sont garnis aux angles de deux biseaux ; les autres, sans aucune décoration du côté du chœur, présentent vers la nef un tore et une baguette séparés par une gorge profonde et bordés d'un filet. L'arcade s'appuie de chaque côté sur une demi-colonne flanquée de deux colonnettes, et ces supports reposent eux-mêmes sur des bases formées de deux tores séparés par une scotie ; le tore inférieur, sensiblement aplati, est relié au socle carré — avec angles abattus — par des griffes également aplaties. Les chapiteaux sont ornés de têtes humaines, de feuilles plates et surtout de palmettes de différentes formes : les plus importantes se recourbent l'une vers l'autre sous les angles du tailloir, de manière à dessiner pour l'œil la volute habituelle. Cette décoration est sèche et peu élégante ; mais il ne faut pas s'attendre à trouver souvent, dans les monuments élevés en Normandie au XIIe siècle, les beaux feuillages contemporains que nous offrent à l'envi les provinces voisines. Quant aux tailloirs, ils sont naturellement de plan carré et se profilent en un cavet, un tore dégagé et un méplat. Ils se continuent horizontalement, en avant et en arrière, jusqu'à la rencontre des murs latéraux.

Deux travées composent le chœur : la première est carrée, la seconde un peu moins profonde que large. On voit au nord deux fenêtres en tiers-point étroites, un peu plus ouvertes toutefois que celles de la nef (elles mesurent 40 centimètres à l'extérieur), et percées aussi à un niveau moins élevé, de façon à éclairer davantage. Leur glacis, non taillé en degrés, s'appuie sur un cordon torique conduit tout le long des murs à la hauteur du tailloir des chapiteaux qui portent la voûte. De même que celles de la nef, ces baies ne possèdent aucune moulure. Le côté méridional offrait primitivement deux baies semblables, mais il n'en subsiste qu'une seule, celle de la travée orientale ayant été remplacée au XIVe siècle, ou peut-être même dès le milieu du XIIIe, par une fenêtre en tiers-point, à meneau bifurqué, dont les ébrasements, presque parallèles, se relient au parement intérieur par un biseau. Ouverte visiblement dans le but de procurer à l'officiant un jour plus abondant, cette fenêtre est de construction grossière. Enfin, il existe au centre du chevet une baie du XIIe siècle identique aux trois autres ; mais on l'a fait disparaître, dans le cours du XVIIIe siècle, derrière un revêtement de menuiserie sans valeur, établi pour servir de contre table à l'autel majeur.

Base de colonne dans le chœur

La voûte et les colonnes qui la portent méritent un examen particulier. Nous décrirons d'abord les supports, seuls contemporains de la construction. Une colonnette dans chacun des angles du chœur, une demi-colonne flanquée de deux colonnettes contre chacun des murs latéraux, tel est le dispositif. Les colonnettes d'angle ont été mutilées, d'abord au Xllle siècle quand on creusa dans le mur nord de la première travée deux larges arcatures pour abriter des tombeaux, puis au XVIIIe siècle quand les murs furent revêtus de boiseries. L'une des bases, toutefois, existe encore au chevet : elle présente le même profil et la même griffe que les bases des colonnes de l'arc triomphal, mais le socle ici est carré. Quant aux colonnes groupées entre les deux travées, on pourrait les considérer comme intactes si leurs bases n'avaient été refaites gauchement au XVIIIe siècle.

Les chapiteaux

Les chapiteaux présentent entre eux des dissemblances très sensibles. Ceux placés aux angles du chœur sont revêtus de larges godrons légèrement ornés, et leur tailloir, posé de façon à faire face aux ogives, a le même profil que celui des chapiteaux de l'arc triomphal. Au contraire, les chapiteaux des colonnes groupées montrent une décoration végétale un peu sèche, analogue à celle des chapiteaux de l'arc triomphal, tandis que leurs tailloirs, posés à angle droit, affectent un prolil tout différent, composé fort simplement d'un biseau et d'un méplat, mais enrichi de bâtons brisés courant sur le biseau.

De ce fait qu'aucun des tailloirs ne se raccorde par le profil de ses moulures avec le cordon qui règne a la base des fenêtres, faut-il conclure que les supports ont été ajoutés après coup, par conséquent que le projet primitif ne comportait pas de voûtes ? Nullement, car les murs du chœur ont une épaisseur de lm05, supérieure de 20 centimètres à celle des murs de la nef. ce qui suffit à prouver dès l'origine l'intention de voûter.

Mais comment expliquer les dissemblances qui existent tant dans la décoration des chapiteaux que dans le profil et même dans la plantation des tailloirs ? Faut-il supposer qu'on avait prévu d'abord une voûte sexpartite semblable à celles des églises de la région caennaise, mais que, ce projet n'ayant pas été mis à exécution, le groupe des trois colonnes vint, par la suite, remplacer un support moins important destiné au doubleau intermédiaire de la voûte sexpartite ? Rien ne l'indique, et la forme très barlongue du chœur rend inadmissible cette supposition. Il apparaît, au contraire, à l'inspection des assises, partout parfaitement concordantes, que murs et colonnes ont été, sans conteste, élevés en même temps. Les irrégularités, les entailles même occasionnées par la pose des chapiteaux, tiennent uniquement à ce que toutes les sculptures, sans exception, furent exécutées d'avance. Le moindre doute ne peut subsister à cet égard, car les trois fûts groupés de chaque côté du chœur se composent d'assises communes, et c'est précisément là que les irrégularités, les entailles dont nous parlons sont le plus visibles et le plus choquantes. L'examen des quatre colonnes d'angle n'est pas moins concluant, car les assises de ces fûts forment boutisse alternativement dans les deux murailles.


Chapiteau d'angle dans le chœur

La voûte

Intérieur du chœur

S'il est ainsi permis d'affirmer qu'une double voûte d'ogives entra dans le plan de l'architecte du XIIe siècle, l'existence même de cette voûte demeure un problème, car la voûte actuelle n'est pas antérieure au milieu du XIIIe siècle, et il ne subsiste aucune trace de celle qui a pu la précéder. Le doubleau en tiers-point lancé entre les deux travées se compose d'un large méplat et de deux tores amincis en amande et dégagés par des cavets dont la naissance est dissimulée par un congé. Les ogives sont formées d'un tore aminci, également encadré par deux cavets. De petites rosaces de feuillages très rudimentaires décorent les clefs. Aucun formeret ne garnit les lunettes, qui affectent une courbe en tiers-point. Par suite de mouvements dans le mur méridional, que l'on fut obligé, il y a cinquante ans, de relier au mur du nord par les tirants dont nous avons parlé, les voûtains du côté sud sont à peu près complètement détachés de la paroi verticale. Il faut noter dans cette voûte l'emploi de tores amincis placés en biais aux angles du doubleau. C'est un parti rarement adopté. Un édifice à peu près contemporain de la voûte de Sainte-Marie-aux-Anglais, l'église abbatiale de Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois (Orne) présente une disposition assez analogue dans l'arc qui fait communiquer le croisillon méridional avec le bas-côté de la nef ; en outre, le tore aminci se retrouve, posé d'une façon identique, et à la même époque, autour de l'une des piscines de l'église de Mesnil-Mauger, et aux arcs du triforium de l'église abbatiale de Saint-Pierre-sur-Dive, reconstruite, comme on sait, vers le milieu du XIIIe siècle.

La piscine et les autels

On remarque dans le chœur une piscine du XIIIe ou du XIVe siècle et deux arcades ou arcatures abritant des statues funéraires ; enfin, les murs conservent d'intéressants vestiges de peintures anciennes. La piscine, pratiquée dans l'épaisseur du mur, au sud du sanctuaire, et munie de deux cuvettes, servait en même temps de crédence, ainsi que le prouve la présence d'une tablette. Cette piscine s'ouvre par deux arcades jumelles trilobées, dont un biseau dessine le contour, excepté au support central, colonne trapue dépourvue de chapiteau. L'ensemble, peu élégant, paraît contemporain de la fenêtre percée au-dessus. A la même époque encore, il faut sans doute attribuer aussi les deux arcades-tombeaux, segments de cercle entourés tout simplement d'un biseau. Nous parlerons plus loin des deux statues et des peintures murales, comme aussi de la cloche et d'une dalle funéraire jadis encastrée dans le pavage. Mais nous devons mentionner ici les trois autels, simples cubes de maçonnerie grossière, surmontés d'une corniche en biseau. M. de Caumont indique, au-dessus de l'un des autels latéraux, un tableau donné en 1574 par Jacques Louvet : ce tableau a disparu.

Aspects extérieurs

Ensemble nord-ouest

La vue d'ensemble, dessinée par Victor Petit, que M. de Caumont a jointe à l'article Saìnte-Marie-aux-Anglais de sa Statistique monumentale du Calvados et à son Abécédaire d'archéologie, donne une bonne idée des dispositions extérieures de l'église ; mais il ne faut pas négliger d'étudier les détails du monument.

La façade, épaulée à chaque angle par deux contreforts à glacis peu sensibles, possède, nous l'avons dit, la porte principale. Elle est en plein cintre, encadrée par deux colonnettes et surmontée d'un rang de bâtons brisés placés dans un plan oblique, c'est-à-dire ni perpendiculaire ni parallèle au parement, un gros tore engagé court autour de l'archivolte, en faisant un léger retour à droite et à gauche. Les colonnettes sont très endommagées ; l'une d'elles a cependant conservé sa base, analogue à celles observées dans le chœur ; elle est pourvue d'une griffe et repose sur un socle carré. Quant aux chapiteaux, leur décor de larges feuilles est fort simple, et le tailloir se compose non moins simplement d'un biseau et d'un méplat. Ce tailloir se continue horizontalement jusqu'aux contreforts. Le tailloir de droite porte un nom tracé en gothique arrondie, au XIIIe ou au XIVe siècle, et demeuré incomplet. On lit : ? PIERRES P (sic).

Portail ouest

Porte au nord de la nef

Au-dessus de la porte s'ouvraient primitivement trois petites fenêtres dessinées par un biseau et amorties plutôt en un segment de cercle qu'en un demi-cercle parfait. Elles reposent sur un cordon saillant qui s'étend sur toute la largeur de la façade, et dont le prolil —un méplat surmonté d'un petil glacis — n'est pas le même que celui du cordon qui règne à la même hauteur le long des murs latéraux. La fenêtre centrale, probablement un peu plus large jadis que les deux autres, a été remaniée, nous ne savons à quelle époque, peut-être au XVIIe siècle, et transformée en niche, grâce à l'adjonction d'un petit cul-de-lampe orné de têtes d'anges. Le pignon, à la base duquel on remarque un petit glacis, est construit en moellons et percé d'une étroite baie en plein cintre. Les rampants, larges et de profil carré, avec un biseau sur les bords, supportent au sommet une croix-antéfixe de dimensions modestes, entourée d'un cercle. Toutes ces dispositions du pignon nous paraissent primitives.

Le mur septentrional de la nef a conservé pour ainsi dire l'aspect qu'il avait au lendemain de son achèvement. Il est épaulé par quatre contreforts, y compris les deux placés aux extrémités, sous les rampants des pignons. Une porte en plein cintre, d'ornementation curieuse, s'ouvre dans la première travée à l'ouest. La baie d'entrée est entourée d'un biseau. A droite et à gauche, deux chapiteaux, restes de colonnes disparues, supportent l'archivolte, que décorent deux rangs de bâtons brisés, affrontés suivant deux plans différents, et très profondément dégagés, ce qui produit de vigoureux effets d'ombre et de lumière. Il faut remarquer les différences de largeur très sensibles qui existent entre les claveaux, dont l'assemblage n'en demeure pas moins très régulier. Un sourcil finement mouluré (son profil se compose d'un cavet, d'un tore et d'un filet) court à l'intrados, mais les deux têtes sur lesquelles il se terminait autrefois ont été enlevées. Les chapiteaux, de forme plus allongée que tous ceux qui se voient ailleurs dans l'église, présentent aussi des feuillages d'un galbe plus fin, dont les extrémités tantôt se recourbent légèrement, tantôt s'enroulent franchement en volutes. Le tailloir est analogue à ceux qui surmontent les colonnes groupées de chaque côté du chœur, c'est-à-dire que le biseau y est revêtu d'une course de bâtons brisés. Ce tailloir fait retour à droite et à gauche, le long de la muraille. Sur les claveaux de la baie proprement dite, on lit, en gothique ronde du XIIIe ou du XIVe siècle, fort nettement tracée : ? P1ERRES ? REVEL ? LE. Ce nom a été certainement gravé par la même main qui commença à l'inscrire au portail occidental, mais ici encore le graffitto est resté imparfait.

Les trois fenêtres ouvertes dans la partie supérieure de la muraille sont entourées d'un biseau et amorties en un segment de cercle creusé dans une seule pierre. Elles reposent sur un cordon à double biseau qui s'étend d'une extrémité à l'autre de la muraille et contourne même les contreforts. Au sommet, la corniche se compose d'une tablette en cavet, supportée par la tête des contreforts et par de nombreux corbeaux. La disposition de cette corniche se retrouve partout identique autour de l'édifice ; mais les corbeaux se distinguent, au contraire, par leur variété. Les uns sont sculptés en têtes humaines plus ou moins grimaçantes et grotesques ; d'autres offrent une ou plusieurs moulures toriques, ou de petits carrés posés les uns sur les autres et qui vont en se rétrécissant, ou bien encore une feuille enroulée en volute, une violette, etc.

 

Modillon de la corniche

Sur l'un de ceux placés au sud de la nef, on remarque deux petits tores ou bâtons disposés en croix de saint André ; une autre console, au nord, montre un petit personnage nu et accroupi, le dos tourné au public. Abstraction faite de son ornementation, le corbeau affecte presque partout le profil en cavet. Le côté méridional de la nef ne possède pas de porte, et sa fenêtre orientale a été remplacée, comme nous l'avons expliqué, par une large fenêtre en tiers-point, à meneau et remplage flamboyant, dont l'encadrement presente des moulures prismatiques vigoureusement profilées. Cette travée est la seule de l'église qui n'ait pas conservé sa corniche originale, remplacée, lors de l'agrandissement de la fenêtre, par une simple tablette taillée en biseau.

Les fenêtres primitives du chœur sont entourées de biseaux, comme celles de la nef, mais elles ont un peu plus de largeur, et l'arc d'amortissement y décrit une courbe en tiers-point. Cet arc est toujours, d'ailleurs, creusé dans une seule pierre ; mais celle-ci, trop evidée, s'est presque partout rompue sous le poids de la corniche. La baie du XIIIe ou du XIVe siècle qui éclaire le sanctuaire au sud s'encadre d'un double biseau. Le percement de cette fenêtre eut pour résultat d'affaiblir le mur, qui a craqué du haut en has et présente un surplomb considérable. A l'extrémité du chœur vers la nef, du coté sud, s'ouvre une petite porte en plein cintre, encadrée par deux colonnettes et surmontée d'une archivolte sans autre moulure qu'un sourcil torique que décore une tête humaine placée à la clef. Ce sourcil fait un léger retour à droite et à gauche. On ne peut guère considérer comme une véritable décoration des claveaux la petite feuille ou palmette déployée que l'on voit gravée sur l'un d'eux. Il ne reste des colonnes que les bases mutilées et les chapiteaux, ornés de feuilles plates striées à l'imitation de la feuille d'acanthe ; entre ces fouilles, on voit paraître, en outre, un fruit de forme allongée. Les tailloirs, composés d'un cavet dégagé et d'un méplat, se poursuivent sur toute la largeur de la travée.

Croix du pignon oriental de la nef

Caché en grande partie par une sacristie polygonale du XVIe ou du XVIIe siècle, construite en bois, avec remplissage de tuiles placées obliquement, suivant la carrée, et, sauf les rampants, construit en moellons comme les gables qui portent les toitures de la nef, ce pignon offre donc une disposition analogue à celle des deux autres, mais la croix la plus intéressante est certainement celle qui surmonte l'extrémité orientale de la nef : un dessin peut seul donner une juste idée de ce couronnement, dont la légèreté mérite d'être remarquée.

Les statues funéraires

Les deux arcades qui abritent les statues funéraires placées dans le chœur n'ont pas exactement la même largeur : celle de gauche ou de l'ouest, affectée à l'effigie du guerrier, mesure 2m15 ; l'autre n'a que 2m05. Les statues présentent naturellement la même inégalité de taille ; elles mesurent respectivement 2m04 et 1m93, y compris les animaux accroupis sur lesquels s'appuient les pieds.

Statues funéraires du XIIIe siècle

Ce sont donc des statues de grandeur naturelle. M. Victor Petit les a dessinées pour la Statistique monumentale du Calvados.

Cette image est exacte ; elle a seulement embelli les visages qui, en réalité, ont à peine quelque modelé. Ces statues ne peuvent passer, à aucun titre, pour des œuvres d'art ; sculptées l'une et l'autre par le même ciseau grossier, elles ne valent que pour l'étude du costume, mais à ce point de vue elles offrent un vif intérêt. Le dessin de Victor Petit, reproduit ici, nous dispense de les décrire ; nous dirons seulement que l'objet tenu par le bourgeois est bien un gant, que les pieds du même personnage s'appuient sur un chien et que l'extrémité pendante de la ceinture du guerrier ne présente aucune dentelure. La plus petite des deux statues avait été donnée par M. de Caumont comme « celle d'une femme, probablement l'épouse du guerrier ». L'éminent archéologue a commis là une grave erreur. Jamais, au XIIIe siècle, les femmes n'ont porté la robe courte que montre cette statue. C'était là le costume des bourgeois et même celui des membres de la noblesse dans leur intérieur, ainsi que le prouvent l'effigie funéraire de Guillaume Salenbien, bourgeois de Paris au XIIIe siècle ; celle de Jean, fils de saint Louis, mort en 1248, et une image du sire de Joinville dans un manuscrit de la première moitié du XIVe siècle. Quicherat, qui fournit ce dernier exemple et plusieurs autres, ne manque pas, d'ailleurs, de faire ressortir la ressemblance qui a existé, au XIIIe siècle, entre le costume des hommes et celui des femmes, et il ajoute : « Des antiquaires, même expérimentés, ont plus d'une fois confondu les sexes sur les monuments ». Dans la statue de Sainte-Marie-aux-Anglais, nous verrions volontiers celle d'un jeune homme.

Quoi qu'il en soit, les deux effigies sont bien contemporaines, et les deux personnages durent l'être également. Si l'on examine, d'une part, le costume du guerrier, la forme et l'arrangement de sa cotte d'armes, de son bouclier, de son épée, et, d'autre part, la disposition des vêtements du second gisant, on se trouve, conduit, par des comparaisons avec des exemples datés, à considérer ces deux statues comme appartenant à la seconde moitié du XIIIe siècle. 

La pierre tumulaire

Au milieu du dallage du chœur, une pierre tumulaire, cassée en deux et grossièrement gravée, mesure lm90 de longueur sur 66 centimètres seulement de largeur. Dans la bordure se déroule la première partie de l'épitaphie, dont la fin a été tracée à l'intérieur de l'encadrement, au-dessus d'un écu en accolade surmonté d'une couronne de comte et soutenu par deux lions. Il porte les armes des Mathan : De gueules à deux jumelles d'or surmontées d'un lion léopardé du même. L'inscription, en partie effacée, se lit ainsi :

1°    Cy gist Messire Cæs[ar] Au[gus]te Dem[atha]n
C[hevalier] Seigneur et Patron de Se Marie aux anglois
de St Maclou et de Pierfitte en cinglais & Seigneur

2°    honorere du
doumarest lequel
deceda le 15 feburier 1693
pries dieu pour
le Repos de
Son Ame

Note : Pierrefitte-en-Cînglais (Calvados), arr. et canton de Falaise ; Saint-Maclou et Doux-Marnis, anciennes paroisses réunies à Sainte-Marie-aux-Anglais.

L'ancienne cloche

Dans le petit clocher recouvert d'ardoise qui surmonte l'extrémité orientale de la nef se trouvait une cloche, aujourd'hui descendue. Elle a 62 centimètres de diamètre et porte l'inscription suivante, que nous reproduisons textuellement :

 LAN I785 & NOMMEE MARIE ROZALIE PAR
LOUIS FELIX MARC DAMBRY CONTROLEUR GENE
RAL DES FERME AU DEPARTEMENT DE CAEN
  & MARIE ROZA ILE  GEOFFROY EPOUZE DE MRE
 ETIENNE LOUIS CHORON ECUYER CONSEILLER
SECRETAIRE DU ROY DIRECTEUR GENERAL
DES FERME A CAEN.

Sur la panse :
 ? M I  A LAVILLETTE DE LIZIEVX MA FAITE
IEAN IAQUETE TRESORIER EN CHARGE

Cette inscription contient plusieurs incorrections, et la rédaction du début semble indiquer que le fondeur a omis ces mots, ordinairement employés : Je fus bénite par ... La marraine, épouse du dernier seigneur de Sainte-Marie-aux-Anglais, fut la mère du musicien Choron. Le fondeur doit être Alexis Lavillette, dont les autres prénoms nous sont inconnus.

Hypothèses pour la datation

Telle est cette petite église de Sainte-Marie-aux-Anglais, qui constitue un spécimen, modeste assurément mais néanmoins précieux, du style en usage dans la moyenne Normandie au troisième quart du XIIe siècle. Nous proposons cette date comme la plus vraisemblable si l'on tient compte des profils, de l'ornementation et de la forme des arcs, encore en plein cintre dans les portes et dans les fenêtres de la nef, en tiers-point dans les fenêtres du chœur et à l'arc triomphal. On sait malheureusement que la chronologie de l'architecture religieuse en Normandie antérieurement au XIIIe siècle n'a pas encore été l'objet d'un travail méthodique ; c'est là, d'ailleurs, il faut l'avouer, un problème des plus difficiles. En tout cas, que l'église de Sainte-Marie-aux-Anglais soit de 1160, de 1170 ou même de 1180, chacun, du moins, peut constater qu'elle fut bâtie d'un seul jet, que le maître de l'œuvre et les ouvriers étaient normands et que, tout en faisant preuve d'une certaine originalité, dans la décoration végétale du chœur, notamment, ils construisirent un édifice de style normand. Et il n'y a pas lieu de confondre ici le style normand avec celui qui régnait alors en Angleterre. Bien que ce style fût le même à beaucoup d'égards, la présence d'artistes venus d'outre-Manche ne manquerait pas de se trahir par l'emploi exclusif du chapiteau à godrons, peut-être même du chapiteau cubique. Ce ne sont donc pas les caractères architectoniques de l'église qui peuvent servir à expliquer le nom de la paroisse.


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